EDP signe l'arrêt de mort des marchés de l'électricité
08/07/2020
Par François Dauphin – Power & Utilities Head of Marketing and Solutioning, DXC Technology
« Si Energias Do Portugal (EDP) ne fait partie que du Top 20 des électriciens mondiaux, la publication de son dernier rapport annuel amène à se poser de sérieuses questions quant au bienfondé des orientations prises il y a une trentaine d’années par l’Union européenne pour ce secteur. À l’époque, Margareth Thatcher était confrontée à la double problématique de rénover ses centrales à charbon tout en assainissant ses finances publiques. Elle contourna cette difficulté en engageant une libéralisation qui engendra une séparation des activités de production, de distribution et de vente de l’électricité puis du gaz. Celle-ci fut accueillie avec joie par la City qui voyait là un nouveau débouché pour ses services financiers. Une dizaine d’années après, l’idée faisait écho à la volonté de libéralisation des services publics de la Commission européenne et était progressivement imposée à l’ensemble des pays européens. Force est de constater qu’EDP vient de lui faire un joli pied de nez et de lui tourner le dos.
Au cours de ces dix dernières années EDP avait déjà profité de l’engouement des énergies renouvelables pour créer une division dédiée : EDP Renovaveis. À l’origine de taille modeste, cette division était devenue l’un des premiers producteurs mondiaux d’énergie éolienne, ayant fini par représenter la majeure partie de la valorisation du groupe EDP. EDP tirait parti de plusieurs atouts : des prix d’approvisionnement en baisse régulière pour les éoliennes et les panneaux solaires, des green-bonds permettant un financement à coût réduit et des contrats de vente garantis sur le long terme parun État ou une société donc, non soumis aux fluctuations des marchés. Ce faisant, EDP transférait le risque de volatilité des marchés vers le risque de la contrepartie avec qui elle signait ses contrats long terme, élément qu’EDP était beaucoup mieux à même de maîtriser.
Dans son rapport 2017, EDP annonçait déjà qu’il entendait se renforcer sur les divisions qui disposaient soit de tarifs de vente garantis sur le long terme, soit de tarifs réglementés ; ce qui est le cas de ses activités de distribution et de transport d’électricité.
Les dernières décisions du groupe sont encore plus radicales. EDP a récemment annoncer la vente de 2 000 MW de centrales hydrauliques ; bien que disposant de nombreux atouts (centrales largement amorties, possibilité de pilotage de la production et coût de production très faible) ces centrales ont un gros inconvénient aux yeux d’EDP… elles sont soumises à la volatilité des marchés. Le rapport annuel va encore plus loin en annonçant la vente prochaine de l’ensemble des activités de fournisseurs d’énergie qui était pourtant son positionnement historique. Toujours pour la même raison, ces activités sont soumises aux aléas de marchés incontrôlables.
EDP entend d’ici trois ans développer trois courants d’affaire : pour 70 % de la production d’énergie renouvelable à tarifs garantis, pour 20 % de la distribution à tarifs réglementés, le solde étant développé sous la forme de service de performance énergétique et de « nouveaux services client » tels que la production délocalisée d’électricité et possiblement l’alimentation des véhicules électriques.
Le message est donc très clair : EDP ne cautionne pas le fonctionnement des marchés de
l’électricité. Il fournit même noir sur blanc, dans son dernier rapport annuel, une longue liste des dysfonctionnements sur laquelle elle fonde sa décision. Devant l’impossibilité d’infléchir le cours des choses, EDP en tire les conclusions et préfère tourner le dos aux marchés.
En moins de dix ans EDP aura donc changé la totalité de son portefeuille d’activités et la part de celles-ci soumise aux aléas des marchés sera nulle. La crise récente du covid-19, et l’effondrement des prix qu’elle vient de provoquer, ne fait que mettre en avant la justesse de la stratégie d’Antonio Mexia, le p-dg d’EDP. On peut aisément imaginer ce qu’il adviendrait si tous les producteurs et fournisseurs d’électricité adoptaient la même stratégie. On se retrouverait avec des marchés sans acheteurs ni vendeurs. Force est de constater qu’avec la crise du covid-19, la plupart de nos villes et villages expérimentent déjà quotidiennement cette stratégie pour ses fruits et légumes ! Pas certain que ce soit la bonne pour un service d’importance vital comme l’électricité. »
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