Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

James Carson-Brevoort, le premier des Centraliens américains - CentraleSupélec Alumni N°3 (mars-avril 2021)

L'article de la semaine

-

28/04/2021

Diplômé de l’une des toutes premières promotions centraliennes, James Carson-Brevoort (1818-1887) était l’héritier d’une riche famille new-yorkaise. Il passa une grande partie de sa vie à Brooklyn. Il fut secrétaire particulier du premier grand écrivain américain, Washington Irving. Grand bibliophile, il s’intéressa comme lui à l’histoire de la découverte de l’Amérique.


Avant que ne soit créé le MIT en 1861, les Américains ne disposaient pour la formation de leurs ingénieurs civils que d’une école, le Rensselaer Polytechnic Institute fondé à Troy, dans l’État de New York, en 1824. Ceux qui souhaitaient se former autrement que sur le tas allaient en Europe. La France était choisie par les francophones de Louisiane. On compta ainsi 53 Américains qui, sans aller forcément jusqu’au diplôme, suivirent les cours de Centrale entre 1829 et 1862. Le premier des Centraliens américains fut un anglophone originaire de New York, James Carson Brevoort (1818-1887). On peut légitimement s’interroger sur les raisons qui ont mené cet Américain à venir faire ses études à Paris dans les années 1830. Elles sont à chercher du côté de la famille Brevoort qui, comme certains riches Américains de la côte Est, entretenait alors des relations étroites avec l’Europe. 

Des fourrures de castor aux immeubles de Manhattan
La vie du père de James Carson, Henry Brevoort (1782-1848), nous est assez bien connue grâce aux archives déposées à la Brooklyn Historical Society (ci-dessous) et à la correspondance qu’il entretint sa vie durant avec son grand ami, le premier romancier américain Washington Irving (1783-1859). 
L’histoire des Brevoort, tout comme celle des Irving, est directement lié à celle de Manhattan où ils étaient implantés depuis plusieurs générations. Irving et Brevoort étaient proches de Jacob Astor (1763-1848), un aventurier d’origine allemande qui fit fortune dans le commerce des fourrures, principalement celles des castors, chassés autour des grands lacs. Leurs peaux étaient vendues en Europe pour en faire le feutre des chapeaux hauts de forme. Washington Irving en fit la matière d’un roman à succès paru en 1836, Astoria, traduit en français dès 1843 (ci-dessous). Or Henry Brevoort, apparenté à Astor, fut durant plusieurs années son fondé de pouvoir. Sa correspondance avec Irving relate un long périple qu’il fit durant l’été 1811 à bord d’un canoë conduit par des Indiens, qui le mena jusqu’à l’île Mackinac, entre le lac Huron et le lac Michigan. C’est là où se faisait une grande partie du troc de fourrures contre des marchandises importées en majorité d’Europe. Les fortunes qu’Astor, Brevoort et les frères Irving amassèrent dans ces trafics furent en grande partie réinvesties, à partir des années 1830, dans la promotion immobilière au sud de Manhattan, du côté de Greenwich Village. 
Henri Brevoort y éleva en 1834 la Brevoort House qui, décorée à l’Européenne, devint l’un des endroits les plus chics de la ville. Henri avait une soeur, Margaret-Ann (1791- 1868) ; elle épousa James Renwick (1790- 1863), professeur de physique-chimie au Columbia College, qui fut l’un des premiers à enseigner l’ingénierie aux États-Unis. L’un de leurs fils, James Renwick Jr (1818-1895), contemporain de James Carson, devint d’ailleurs un architecte célèbre, tenant du French Gothic Revival et à qui l’on doit, entre autres, la construction à Manhattan de Grace Church (1843) et de la cathédrale Saint- Patrick (1853). 


Brooklyn Historical Society.
Couverture du livre Astoria.

Séjours en Europe 
Henri Brevoort fit deux longs séjours en Europe, principalement à Londres et à Paris. Le premier eut lieu en 1812-1813 et le second de 1830 à 1835, durant lequel naquirent les deux derniers de ses huit enfants, dont Edith, la benjamine, qui fut l’une des pionnières de l’alpinisme alpin. La famille arriva à Paris le 8 octobre 1830, peu après les Trois Glorieuses. James Carson fut immédiatement scolarisé à Paris. Le jeune homme parlait déjà français, son père l’ayant placé tout jeune dans une institution huppée de Manhattan tenue par les frères Peugnet. En 1832, alors que sévissait le choléra à Paris, il fut mis en pension dans l’établissement modèle d’Hofwil, près de Berne, qu’avait créé un célèbre pédagogue, Emanuel von Fellenberg. C’est dans ce contexte qu’il se présenta le 22 octobre 1835 à l’examen d’admission à Centrale, obtenant un bien en arithmétique et un passable en géométrie (ci-dessous). Son père était alors déjà rentré à New York tandis que son épouse, restée à Paris avec ses enfants, logeait dans un appartement au 10 rue du Mont Thabor, près de la place Vendôme. James Carson suivit sa scolarité avec succès, ce qui n’était pas le cas de tous ses condisciples, et obtint son diplôme le 14 août 1838 dans la spécialité Construction, l’une des quatre alors offertes par l’Ecole. 

  

Admission de Carson Brevoort à Centrale en 1835.

Retour à New York 
Il rentra peu après à New York et trouva immédiatement un poste d’ingénieur à la West Point Foundry (à Cold Spring, sur l’Hudson, au nord de New York), un établissement fondé en 1818 par un ami de jeunesse de son père, Gouverneur Kemble (1786-1875), dans lequel il avait un intérêt. L’établissement avait été le premier à fabriquer des canons aux États-Unis et, à partir de 1830, des locomotives. Il fit ensuite partie en 1841 de l’expédition topographique conduite par son oncle James Renwick, destinée à tracer de manière précise la frontière entre le nord du Maine et le Canada. Un poste qui lui permit à coup sûr de mettre à profit ses connaissances en dessin et relevé acquises à Centrale. 
Puis en juillet 1842, il retourna en Europe, ayant été sollicité pour être le secrétaire particulier de Washington Ir ving, récemment nommé ambassadeur à Madrid. Irving connaissait bien l’Espagne. Il avait séjourné à Madrid et Séville entre 1826 et 1829 pour y faire des recherches historiques dont il avait tiré plusieurs livres. L’un d’eux raconte la vie et les voyages de Christophe Colomb. Cet ouvrage, très bien documenté, paru à Londres et à New York en 1828, fut immédiatement traduit en français par Charles Auguste Defauconpret, le traducteur de Walter Scott. 
James Carson resta à Madrid jusqu’en novembre 1843, puis rentra à New York. Peu après, en 1845, il épousa une riche héritière, Elizabeth Dorothea Lefferts (1824-1896), fille du juge Leffert Lefferts (1774-1847), magistrat certes, mais aussi très largement possessionné à Brooklyn et l’un des fondateurs de sa première banque, la Long Island Bank. James Carson s’installa alors à Brooklyn, et sa formation d’ingénieur l’amena à participer à l’aménagement urbain de ce quartier en expansion accélérée, comme son père l’avait fait au sud de Manhattan. Il participa entre autres, entre 1856 et 1862, au suivi des considérables travaux d’adduction d’eau, avec la construction d’énormes réservoirs dont celui de Mount Prospect (ci-dessous) et de deux gigantesques machines élévatoires à vapeur, à Ridgewood et à Mount Prospect. 

 

Le réservoir de Brooklyn Mount Prospect.

Bibliophile et historien à Brooklyn
Extrêmement fortuné, James Carson délaissa cependant assez rapidement la technique pour se consacrer à ses passions d’érudit et de collectionneur. Il constitua ainsi une étonnante collection ichtyologique axée, entre autres, sur les poissons japonais, et une autre de numismatique, comportant surtout d’anciennes pièces portugaises et espagnoles. Mais sa principale passion était les livres, héritée de son père qui en possédait déjà environ 6 000 et dont il porta le nombre à plus de 10 000. Une grande partie de cette collection était des ouvrages anciens qui constituèrent la base de quelques travaux d’histoire, le principal étant consacré aux voyages de Giovanni da Verrazano (ci-dessous) (1485-1526), navigateur florentin au service de François Ier. Il en tira un petit livre, paru en 1874, qui était la reprise d’une conférence prononcée en novembre 1871 devant l’American Geographical Society dont il était membre depuis 1856. 

La carte du voyage de Verrazano.

L’étude comportait la description des trois voyages effectués par le navigateur entre 1524 et 1528, en particulier du premier au cours duquel il avait découvert la baie de New York. Elle s’appuyait sur celle d’un planisphère datant de 1529, alors conservé au musée Borgiano à Rome. L’archiviste français Raymond Thomassy en avait donné une description en 1852 et James Carson réussit à obtenir des photographies précises. Ce travail prolongeait celui de Washington Irving sur Christophe Colomb, dont il avait été un témoin direct dans sa jeunesse. Lui-même du reste s’intéressa aussi au navigateur, plus précisément à l’endroit où étaient conservés ses restes. Ainsi, en 1878, il publia dans The Magazine of American History un petit article, faisant état d’une enquête quasi policière en cours visant à déterminer si sa dépouille se trouvait à Séville ou à Saint-Domingue. 
Ce qui frappe dans ses travaux, c’est leur caractère méthodique. Se voulant délibérément scientifique, James Carson expliqua, dans une conférence prononcée le 7 mai 1868, History and its sources, qu’il ne pouvait y avoir de véritable histoire sans sources écrites. Le propos prenait notamment exemple sur la France, mais s’inspirait aussi visiblement de ce qu’avait écrit Irving. Il avait prononcé cette conférence à la réunion annuelle de la Brooklyn Historical Society dont il avait été le fondateur en 1863 et le premier président. Ce club avait pour objectif de promouvoir des études historiques sur Brooklyn, mais aussi d’y constituer une grande bibliothèque rassemblant livres et archives. Encore une fois James Carson s’inspirait de ce qu’il avait pu observer de près : la fondation, grâce à une donation de Jacob Astor, de l’Astor Library entre 1838 et 1854 dans le sud de Manhattan, à East Village, dont Irving avait présidé le conseil d’administration et que lui-même dirigea entre 1876 et 1878. Un article du Wallace’s Monthly le décrivit alors comme une encyclopédie ambulante, parfait polyglotte, entièrement dévoué aux lettres et ne se sentant jamais autant chez lui qu’au milieu des livres. 

Un homme affable et courtois 
Malade dès 1884, James Carson s’éteignit à Brooklyn le 7 décembre 1887. Il avait activement participé à la création en 1877 d’un groupe d’alumni des États-Unis dont il avait été durant quelques années le premier président. Son successeur, Auguste Rossi (ECP 1859), ingénieur chimiste à la New York Ice Machine Company, vanta dans le Bulletin des anciens élèves « ses manières affables, courtoises », mais également « sa gaieté, sa verve [qui] en avaient fait un hôte recherché de nos réunions. […] C’était un plaisir de l’entendre nous parler de professeurs, tous jeunes alors..., d’anciens élèves qui sont devenus depuis des hommes éminents ; entremêlant ses narrations d’anecdotes personnelles piquantes, recueillies dans ses voyages, anecdotes auxquelles, avec un tact parfait d’homme bien élevé, il savait communiquer la note juste, sans jamais la dépasser, et que le charme de sa diction élégante rendait plus attrayantes encore… » 

 

Jean-François Belhoste (ECP 71)

 



Pour commander le N°3 (mars-avril 2021) ou s’abonner à la revue CentraleSupélec Alumni 
https://bit.ly/3r3vlCh

J'aime
444 vues Visites
Partager sur

Commentaires0

Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.

Articles suggérés

L'article de la semaine

DOSSIER "Le calcul quantique" - Revue N°7 (novembre-décembre 2021)

photo de profil d'un membre

CentraleSupélec Alumni

24 novembre

1

L'article de la semaine

Nos Talents à suivre ! - revue N°6 (sept.-oct. 21)

photo de profil d'un membre

CentraleSupélec Alumni

03 novembre

L'article de la semaine

Rencontre avec Guido Locatelli (ECP 93), PDG d'un groupe d'entreprises solidaires d'utilité sociale - N°6 (sept.-oct. 21)

photo de profil d'un membre

CentraleSupélec Alumni

07 octobre