Conférence “AZF 20 ans après” par Gérard Chaumerliac (ECP 60), directeur adjoint AZF (1982-1987)
31/05/2022
Gérard Chaumerliac (à gauche) & Jacques Mignard ( à droite)
Avec également la contribution de Jacques Mignard, service sécurité AZF et actuellement président de l’Association AZF Mémoire & Solidarité et de Michel Bouchardy, ancien ingénieur AZF .
L’historique d’AZF
Sur le site de la poudrerie de Toulouse 15000 personnes en 1918.
Création de l’Onia en 1924 à Toulouse - procédé de synthèse de l'ammoniac transféré de l’Allemagne à la France suite au traité de Versailles - société publique - aide des ingénieurs allemands
En 1967, ONIA devient APC, branche chimie des Mines Potasse d’Alsace, puis regroupements, chimie des charbonnages, Rhône Poulenc et finalement AZF Grande Paroisse ELF ( ¾ chimie française 85-88). ELF devient TOTAL en 1998.
Spécialisation de l’usine de Toulouse: les engrais et les produits industriels.
Réglementation:
- usine sous contrôle de la DRIRE.
- classée SEVESO depuis 1964.
L’explosion: 21 septembre 2001 - Toulouse
Jacques Mignard service sécurité AZF, Président de l'Association AZF Mémoire et Solidarité était présent à 200m le jour de l’explosion. Il raconte:
“Le bâtiment 221 a été détruit le 21/09 10h17 dans la partie nord de l’usine qui ne correspondait pas à la zone la plus critique du site (contrairement au secteur ammoniaque du sud de l’usine) . Il y avait environ 250 personnes sur le site. Près de 10 000 Toulousains ont entendu deux explosions et les experts, qui n’étaient pas à Toulouse, ont décidé qu’il n’y en avait eu qu’une", rappelle Jacques Mignard.
Les pompiers sont intervenus rapidement et ont été guidés par Jacques Mignard et le personnel de l’usine sur le lieu de l’explosion. Le personnel présent est aussi venu en soutien auprès des survivants.
Les médias ont très rapidement couvert en direct l'événement et plusieurs personnalités politiques sont venues constater les dégâts sur le site (J.Chirac et L.Jospin).
A 22h, le site était mis en sécurité.
Cette carte rappelle l’emprise 1914-1918 de la poudrerie et les positions des différentes sociétés implantées depuis les années 2000.
Il y a eu 31 morts, dont 21 sur le site et de très nombreux blessés graves (plusieurs centaines).
Très rapidement, une forte pression est exercée pour obtenir de Total la fermeture immédiate de l’usine.
La fermeture de l’usine AZF est prononcée en 2002 par Thierry Desmarest (PDG de Total) malgré la demande du personnel de conserver l’usine avec des normes de sécurité renforcées.
L’Oncopole de Toulouse ( traitement du cancer) a été depuis implanté sur une partie du site de l’usine ainsi que le laboratoire FABRE.
Les actions en justice
Comme suite à chaque accident SEVESO, une commission d’enquête interne a été rapidement montée parallèlement à l‘instruction du juge d’instruction conduite sous la houlette du procureur de la République.
L’hypothèse de l’accident est poussée par le procureur de la République sans doute pour calmer les esprits 10 jours après l’attaque des tours jumelles du World Trade Center. Le contexte émotionnel était élevé et les autorités ont sans doute cherché à calmer rapidement le jeu auprès de la population Toulousaine en prononçant l’hypothèse de l’accident.
Dans les premiers jours suivant la catastrophe, le procureur de la République, dans les médias, a évoqué une « origine accidentelle de l’explosion”.
Suite à la fermeture de l'usine en 2002, l’ Association AZF M&S [réf 1] est créée pour suivre le procès . Elle suggère de rechercher dans le sous-sol la présence d’un produit enterré depuis de nombreuses années et qui aurait évolué progressivement vers un état explosif entraînant la détonation du dépôt en surface...
Pourquoi cette piste que l’on ne peut imaginer évoquée sans raison a-t-elle été aussi rapidement abandonnée ?
Tous les enquêteurs ont fort logiquement recherché tout d’abord quel était le contenu du dépôt 221, lieu de l’explosion, et les derniers apports. Parmi eux, le 21 septembre au matin, une benne contenant quelques centaines de kilogrammes d’un produit en provenance du dépôt des emballages vides. De quel produit s'agit-il ? Pour les experts judiciaires, s’appuyant sur la présence dans ce dépôt d’un emballage vide relevé seulement une semaine après la catastrophe et dont le contenu initial a été parfaitement tracé, il pouvait s’agir d’un produit chloré (Dichloroisocyanurate de sodium, ou DCCNa) un produit incompatible avec le nitrate d’ammonium..
1er procès à Toulouse: 2008 / 2009 relaxe / appel suite à la non condamnation du Directeur de l’usine
2ème procès en appel: 2012 à Toulouse: condamnation du Directeur 3 ans de prison dont 2 avec sursis suivi d’un appel en cassation - 1er pourvoi en cassation: verdict cassé
3ème procès: 2017 à Paris: condamnation du Directeur 15 mois de prison avec sursis -
2ème pourvoir en cassation: rejeté - “La justice est passée”
Recours ultime à la Cour Européenne des Droits de l'Homme (toujours en cours)
Hypothèses de l'explosion:
- “L'hypothèse judiciaire”:
Selon Gérard Chaumerliac, "l’hypothèse judiciaire”, qui est l’hypothèse officielle, est le mélange de nitrate d’ammonium et de DCCNa ( Dichloroisocyanurate de sodium), un produit contenant du chlore produit dans la partie sud de l’usine . Cette hypothèse a toujours été remise en cause par les gens qui connaissent la chimie [réf 2].
L’analyse des multiples échantillons prélevés dans le bâtiment d’où est venue la dernière benne n’a révélé aucune trace du produit mis en cause. De même une tentative de reconstitution de l’opération de transfert a apporté la preuve qu’il était impossible de la réaliser. Enfin, une reconstitution de la dernière benne, selon le protocole défini par les experts judiciaires eux-mêmes, a démontré que le mélange des deux produits, réactif dès les premières heures, n’aurait jamais pu passer inaperçu aux opérateurs situés à proximité du fait d’un insupportable dégagement d’odeur chlorée ainsi que de fumées particulièrement visibles et abondantes.
Pourtant, passant outre ces constats pris en compte dans le dossier d’instruction, les experts judiciaires ont entrepris, à grands renforts d’essais, de montrer que les deux produits peuvent réagir violemment dans des conditions particulières, transformant ainsi leur hypothèse en conclusion, ce qui n’aurait pas dû échapper aux différentes juridictions qui se sont succédées.
Un laboratoire du CNRS a pensé apporter sa pierre à l’hypothèse judiciaire en faisant une étude de la cinétique de la réaction, étude universitaire académique, digne d’intérêt au strict plan scientifique, mais n’apportant aucun élément à la problématique du dossier, à savoir la présence de DCCNa dans la dernière benne.
Cette piste, bien qu’ayant été retenue comme vraisemblable par les autorités judiciaires, peut donc être raisonnablement et définitivement écartée, un véritable spécialiste des ammonitrates ayant même déclaré que « la probabilité d’une telle hypothèse n’est pas minime, elle est nulle !
Au vu du déroulé de ces procès, les instructions de ce type d’accident industriel se font désormais dans des villes où les experts ont des compétences techniques et scientifiques dans le domaine concerné.
Et d’évoquer les différentes hypothèses écartées:
- L’hypothèse ‘Nitrocellulose”:
A la fin de la première guerre mondiale, 5000 tonnes de nitrocellulose ont été enterrées dans les ballastières (sous eau) à côté de l’usine.
La présence d’un produit dans les sols d’un site chimique historique, la nitrocellulose, stockée très longtemps jusque dans l’environnement même de l’usine, et avérée par une explosion, en décembre 2011 survenue spontanément dans la société Saika Pack (cf carte ci-dessus), à proximité d’AZF aurait également pu donner lieu à investigation. Saisie, la justice a, de façon péremptoire et a priori, écarté cette piste alors que la nitrocellulose est, pyro techniquement, un explosif capable d’entrainer l’explosion du nitrate d’ammonium ce que le DCCNa n’est pas !
De la même manière, on a pu observer dans les jours qui ont suivi le 21 septembre, dans l’eau de la nappe phréatique qui avait envahi le fond du cratère, des dégagements gazeux et une élévation de température qui pouvaient résulter d’une décomposition de nitrocellulose qui aurait pu être détectée si, contrairement à d’autres éléments, elle avait été elle aussi recherchée.
- Enregistrement sismique de l’explosion :
Le signal sismique enregistré le 21 septembre 2001 correspond à une magnitude de 3,3 / 3,4 sur l’échelle de Richter.
En mars 2002 l’Observatoire de Midi-Pyrénées indiquait dans son rapport à l’Académie des Sciences, tout en émettant des réserves, que les meilleurs résultats de simulation, obtenus à partir du modèle sismique local, correspondaient à une profondeur du foyer sismique de 7 mètres pour une étude entre 0 et 10 m.
Les essais de reconstitution sismique réalisés en 2004 sur le site ont fait apparaître sur les enregistrements une forte analogie entre les essais en profondeur et l’explosion du 21 septembre.
Enfin, un expert en sismologie cité par le parquet, chef du Laboratoire de Détection et de Géophysique du CEA-DASE, a admis, en 2017 devant la Cour d’Appel de Paris, que la magnitude de 3,3 /3,4 ne pouvait être atteinte, pour une explosion de surface, qu’avec l’équivalent de plusieurs centaines de tonnes de TNT correspondant à des quantités de nitrate bien supérieures au produit stocké dans le bâtiment 221.
La question est donc de déterminer la cause de cette probable explosion souterraine. Un champ d’investigation qui peut paraître essentiel mais que l’expertise judiciaire n’a que sommairement exploré.
- Hypothèse “perturbations électriques”:
De la même manière, on peut regretter que des événements électriques importants sur les réseaux EDF ou d’autres usines du pôle chimique, ceux perçus à l’usine d’incinération du Mirail, au poste électrique de Lafourguette et qui sont instructifs n’aient pas été étudiés et plus particulièrement datés correctement alors que figurent dans le dossier de nombreux témoignages techniquement irréfutables.
En particulier, une manipulation délicate au niveau des essais de cogénération électrique à la SNPE voisine, à la même heure, n’a pas été investiguée (secret défense).
Il en est de même du rayonnement électromagnétique non naturel relevé dans un axe cratère- poste EDF de Lafourguette ou d’une explication concernant les personnes éloignées du lieu de l’explosion et néanmoins atteintes de brûlures dûment constatées.
Les phénomènes électromagnétiques précurseurs que l’on retrouve de manière convergente dans de nombreux témoignages, de même que la « première explosion » entendue et évoquée par plusieurs milliers de toulousains nécessiteraient aussi, au-delà d’un examen qui n’a jamais été entrepris, d’être étudiés pour être expliqués.
- Hypothèse “ fuite gazeuse”:
Rappelons enfin celle basée également sur de nombreux témoignages faisant état de brouillards et d’odeurs sur le site qui pourraient alimenter la piste de l’UVCE (Unconfined Vapour Cloud Explosion),et l’explosion d’une nappe de gaz à l’air libre venant de la SNPE voisine (qui produit le carburant d’Ariane).
Elle ne peut être exclue a priori, compte tenu de présence sur l’ensemble du pôle chimique de produits divers pouvant présenter un tel risque et susceptibles de générer des flashs tels que décrits dans de nombreux témoignages, alors qu’une explosion de nitrate d’ammonium ne produit pas de lumière.
Curieusement, seule l’éventualité d’une UVCE de gaz naturel a été étudiée alors qu’aucune fuite n’avait été détectée sur ce réseau.
7. Hypothèse “acte de malveillance”:
Au-delà de ces hypothèses reposant sur des données scientifiques et techniques solides, d’autres pistes ont également été négligées, ignorées ou écartées.
Ainsi, celle dite volontaire ou de la malveillance qui a donné lieu à de nombreuses polémiques dans les mois qui ont suivi la catastrophe a-t-elle été complètement investiguée?
On peut en douter aux dires de certains enquêteurs officiels qui en auraient été dissuadés, cela en dépit d’évènements et d’individus suspects que l’on trouve dans de nombreux témoignages et alors que la suite ait révélé l’existence, dès cette époque, des réseaux islamistes structurés, dans la région.
Une situation qui justifie pleinement la position du tribunal qui, lors du procès en correctionnelle, avait tenu à souligner qu’il s’agissait d’une hypothèse qui ne pouvait pas être absolument écartée.
A noter qu'aucune investigation n’a eu lieu dans ce sens.
Conclusion
La conférence pointait le sentiment de "vérité cachée" qui pèse toujours à Toulouse.
Aujourd’hui encore, après la fermeture de l’usine AZF par Thierry Desmarest (PDG de Total) en 2002, trois procès et la condamnation du directeur de l’établissement à 15 mois de prison avec sursis, chacun est contraint de constater que cette catastrophe soulève plus de questions que de certitudes.
L’association AZF Mémoire & Solidarité [Réf 1] regrette en particulier que la commission d’enquête interne n’ait pas pu poursuivre ses investigations.
A l’énumération de toutes les investigations insuffisamment instruites ou non prises en considération, de ces interrogations laissées sans réponse, ces informations écartées, seul un élargissement de l’enquête aurait pu permettre d’avancer sur le chemin qui conduit à la vérité. Ainsi les carences graves évoquées s’apparentent à autant d’éléments nouveaux justifiant un travail d'examen des faits, impartial et exhaustif qui reste à faire. Est-ce possible?
Compte-rendu par Jean-Yves Papazoglou (ECP81) - Mai 2022.
Référence 1: Association AZF Mémoire & Solidarité:
https://www.azf-memoireetsolidarite.com/
Référence 2: Le procès AZF : l’hypothèse chimique Gérard Hecquet Septembre 2012
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