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Voyage en Provence autour du vide : « comment remplir le Pavillon noir grâce au vide ? », conférence d’Etienne Klein

24/10/2019


Les 11 et 12 octobre derniers, à l’initiative de Pascale Temin (ECP 1986), présidente du groupe Provence, l’Association des Centraliens organisait un weekend pédagogique et culturel à l’attention des élèves ingénieurs de CentraleSupélec sur le thème du vide. Les étudiants ont eu l’opportunité de visiter le site d’ITER et ont assisté à une conférence de leur professeur de philosophie des sciences Etienne Klein (ECP 1981) à l’occasion de la sortie de son dernier essai « ce qui est sans être tout à fait »(Ed. Actes SUD). Retour en images…

Le voyage a commencé par la visite du site d’ITER <note 1>, à Saint-Paul-lès-Durance. Nous faisons connaissance avec des ingénieurs ECP du groupe Provence de l’AECP autour de pan bagnats sous le soleil provençal. Un ingénieur de la Société française du Vide (SFV) <note 2>, nous rappelle les enjeux de ce projet international financé par l’Union européenne, mais aussi les États-Unis, la Russie, l’Inde, la Chine, la Corée et le Japon.

 

Les étudiants de CentraleSupélec et Centrale Marseille, accompagnés par 4 membresdu groupe Provence des Centraliens.

Gilet fluo sur le dos et casque de chantier sur la tête, nous sommes accueillis par Jean-Louis Bersier, ingénieur de la Société française du Vide (SFV), qui nous explique les tenants et les aboutissants du projet. ITER est un projet international financé par l’Union européenne, mais aussi les Etats-Unis, la Russie, l’Inde, la Chine, la Corée et le Japon. En effet, dans un contexte d’augmentation de la consommation mondiale d’énergie et de dérèglement climatique, il est essentiel de produire massivement de l’énergie sans générer d’émissions de CO2. Le nucléaire est un excellent candidat à la production d’électricité décarbonée. Mais la fission exercée dans l’industrie nucléaire pose des questions de sûreté, de raréfaction des ressources et de gestion des déchets. Aussi, les ingénieurs et chercheurs du monde entier envisagent d’avoir recours à la fusion plutôt qu’à la fission. L’objectif du projet ITER est donc de démontrer la faisabilité scientifique et technique de la fusion nucléaire.

Il s’agit de fusionner deux isotopes de l’hydrogène, le tritium et le deutérium, afin de former de l’hélium, mais surtout des neutrons ayant une énergie d’environ 14 MeV. Pour que la réaction de fusion ait lieu, il faut induire un courant dans un plasma. Le plasma est formé dans une chambre à vide en forme de tore : le tokamak. Le vide est donc une composante essentielle de la fusion nucléaire. A ITER, le niveau de vide dans le tore avant d’initier la réaction doit être d’environ 10-7 Pa. Le vide permet d’obtenir une puissance très importante à l’issue de la réaction, en limitant les transferts thermiques. Le projet ITER permettra d’attendre une puissance de l’ordre de 500 MW pour 50 MW de puissance injectée. On est donc en présence d’un facteur 10 en termes de gain de puissance. A titre de comparaison, pour un EPR de 1400 MW, le facteur n’est de l’ordre que de 2 ou 3. [i]


Figure 1Pavillon NOIR, Aix en Provence

Le lendemain, nous nous retrouvons dans le centre-ville d’Aix-en-Provence, au Pavillon noir. La salle se remplit rapidement de passionnés et de curieux. Nous assistons, dans un premier temps, à une représentation de danse contemporaine par de jeunes danseurs du Ballet Preljocaj. Les artistes se propagent dans l’espace. Nos yeux se remplissent de couleurs et nos oreilles de la musique de Vivaldi.



Figure 2Ballet Preljocaj JR

 Etienne KLEIN nous emporte ensuite dans un exposé passionnant, mêlant physique et philosophie du vide, du néant, du rien. Il revient sur l’évolution de la définition du vide à travers les âges, en sciences, ou dans le langage courant. Il précise « Si on veut pouvoir dire la science il faut perfectionner le langage, sinon la science devient marginale, indicible, elle se perd »


« J’ai basculé dans le vide …tout d’abord parce que je suis alpiniste, et que les alpinistes ont rapport passionnel au vide, même s’il a pour vocation à rester platonique : Si tu tombes c’est la chute, si tu chutes c’est la tombe ! » En tant qu’alpiniste, Etienne Klein a l’habitude de constater la méconnaissance du vide physique : l’alpiniste craint de tomber dans le vide, alors que c’est précisément au-dessus de sa tête qu’il y a le plus de vide (au-dessus de 5500m).


Figure 3Etienne Klein et Romain Soubeyran.

 Dans l’Antiquité, Aristote développe l’idée que la nature a horreur du vide. Ainsi, si deux plaques parfaitement planes ne peuvent être écartées l’une de l’autre, c’est parce que la nature empêche de vide de se former entre elles. Au Moyen-Âge, l’idée d’existence du vide est totalement exclue. En effet, Dieu est partout. C’est à la Renaissance que la notion de vide est de nouveau abordée. Galilée, à la fin de sa vie, mettra en évidence le vide dans ses expériences Le concept de vide sera ébranlé à plusieurs reprises, notamment avec l’idée d’éther luminifère, dont Einstein finira par mettre en avant l’inexistence.


Contrairement à l’idée reçue dans l’Antiquité, la vide n’est pas le néant. « Le vide a une dimension spatiale. Le vide peut être pensé, ce qui n’est pas le cas du néant. On peut penser le néant que si on n’y pense pas ». Pascal suppose que le vide « tient le milieu entre la matière et le néant ». « Le vide c’est ce qui reste quand on a tout enlevé sauf le vide » Pour les physiciens, faire le vide consisterait à retirer tout ce qui peut l’être. Mais qu’a-t-on le droit de retirer ? Peut-on exclure les particules, les ondes électromagnétiques ou encore le contenant ? Chaque théorie scientifique doit définir son vide. Du vide newtonien au vide quantique en passant par la théorie de la relativité, en physique, ce sont différents vides qui cohabitent. Nos élèves ingénieurs pourront en déduire que le vide défini par les concepteurs du tokamak d’ITER (10-7 Pa) est questionnable. A propos du vide quantique : « Si l’on retire toutes les particules, les équations de la physique disent qu’il reste des champs quantiques de plus basse énergie dont la valeur n’est jamais nulle. Ceux sont des particules dites virtuelles dont l’énergie est inférieure à leur énergie de masse (mc2) »

            A la fin de l’exposé, nous demandons à Etienne Klein de rebondir sur un constat énoncé par Romain Soubeyran : L’absence de considération scientifique dans les débats publics. « Paradoxe dans la société française, les ingénieurs s’expriment très peu dans les sphères publiques : Il faut dire ce que l’on sait, ce que l’on fait. Et ce que nous pensons de ce l’on sait et de ce que l’on fait ». « En physique, l’énergie renouvelable n’existe pas …. » Or, la République se veut un milieu de libre circulation des connaissances. Prendre la parole, pour un scientifique, c’est donc un enjeu républicain. Les élèves ingénieurs retiendront la leçon !

Le groupe Provence de l’Association des centraliens remercie l’Association des centraliens pour son soutien dans l’organisation et la réalisation de cet événement : Le concours appuyé de Marc Boissonnet et Yolande RICART a été fort apprécié.

Nous remercions Romain SOUBEYRAN pour sa venue, sa présentation d’Etienne KLEIN en préambule de la conférence, et d’avoir autorisé les élèves ingénieurs à participer à ce weekend pédagogique ; Lionel GABET (Directeur des Etude de CS) pour son aide très précieuse dans les modalités d’informations des élèves ingénieurs de CS, ainsi qu’Anas EL BAGHDADI président du BDE.

Etienne KLEIN, physicien, philosophe des sciences, Directeur de recherche au Laboratoire des Sciences de la Matière au C.E.A., professeur de philosophie des sciences à l’École CentraleSupélec. Auteur de nombreux essais scientifiques à succès, il anime et produit sur France Culture « la conversation scientifique », une passionnante émission culturelle de découvertes et d'échanges. Son engagement dans le partage et la diffusion des connaissances est exceptionnel : il vient de lancer et dirige la collection « comment a-t-on su », (Ed. HumenSciences). Son dernier essai « Ce qui est sans être tout à fait » est paru le 25 septembre aux éditions Actes Sud.

Rédaction Camille GUITTONEAU (CS2020), Pascale TEMIN (Présidente du Groupe Provence des Centraliens).

Pour aller plus loin :

KLEIN Etienne, Ce qui est sans être tout à fait, Actes Sud, 2019

Site internet d’ITER : https://www.iter.org/fr

Site internet de la Soci

[i] La réaction de fusion nucléaire nécessite des composants peu ou pas radioactifs (le deutérium n’est pas radioactif ; le tritium n’est plus radioactif au bout d’une douzaine d’années). L’hélium obtenu à l’issue de la réaction ne présente aucun danger pourra être rejeté dans l’atmosphère. Les parois du tokamak, heurtée par les neutrons, deviendront faiblement radioactives, mais pourront être recyclées au bout d’un siècle. L’absence de déchets est aussi un avantage concernant la non-prolifération. Concernant les ressources, le deutérium peut être extrait de l’eau des lacs et océans. Quant au tritium, il peut être produit au sein-même du réacteur, à l’aide de lithium. Les réserves de lithium dans la croûte terrestre devraient garantir plusieurs milliers d’années d’approvisionnement. Les progrès par rapport aux externalités de la fusion nucléaire seraient donc considérables.

Nous explorons le chantier d’ITER et avons l’opportunité de visiter la halle de montage de 4 des 6 bobines poloïdales que comportera le tokamak. Les composants du tokamak sont fabriqués dans le monde entier et devraient être assemblés à partir de 2020. Quant au démarrage de la machine, il devrait avoir lieu en 2025, avec pour objectif l’apparition d’un plasma pendant environ 3000 secondes. Les parties prenantes du projet espèrent voir apparaître des centrales de fusion nucléaire à partir de 2050. Si l’homme maîtrise la fusion nucléaire, il aura trouvé un moyen de produire de l’énergie pour des centaines de millions d’années. ITER met en évidence de nombreux défis : la robotique en milieu nucléaire, la supraconductivité, la compatibilité électromagnétique ou encore la maîtrise du vide. Ce seront autant de sujets de recherche pour les élèves ingénieurs dans les décennies qui viennent.


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